Licorne
La licorne, parfois nommée unicorne, est une créature légendaire à corne unique.
Connue en Occident depuis l'Antiquité grecque par des récits de voyageurs en Perse et en Inde, sous le nom de monocéros, elle est peut-être en partie issue du chamanisme oriental à l'origine du Qilin (ou licorne chinoise) et du récit sanskrit d'Ekasringa. La licorne occidentale se différencie toutefois nettement de sa consœur asiatique par son apparence, son symbolisme et son histoire. Sous l'influence du premier des bestiaires, le Physiologos, les bestiaires médiévaux occidentaux et leurs miniatures la décrivent comme un animal sylvestre très féroce, symbole de pureté et de grâce, attiré par l'odeur de la virginité. Les chasseurs utiliseraient une jeune fille vierge pour la capturer. Sa forme se fixe entre le cheval et la chèvre blanche. La licorne se voit dotée d'un corps équin, d'une barbiche de bouc, de sabots fendus et surtout d'une longuecorne au milieu du front, droite, spiralée et pointue, qui constitue sa principale caractéristique comme dans la série de tapisseries La Dame à la licorne.
Elle devient l'animal imaginaire le plus important du Moyen Âge à la Renaissance. La croyance en son existence est omniprésente grâce au commerce de sa corne et à sa présence dans certaines traductions de la Bible. Des objets présentés comme d'authentiques « cornes de licorne » s'échangent à prix d'or, crédités du pouvoir de purifier les liquides des poisons et de guérir la plupart des maladies. Peu à peu, on découvre qu'il s'agit en réalité de dents de narval, un mammifère marin arctique. Il est admis que les multiples descriptions de licornes dans les récits de voyages correspondent aux déformations d'animaux réels, comme le rhinocéroset l'antilope. La croyance en l'existence de la licorne reste toutefois discutée jusqu'au milieu du xixe siècle et de tous temps, cette bête légendaire intéresse des théologiens, médecins, naturalistes, poètes, gens de lettres, ésotéristes, alchimistes, psychologues, historiens et symbolistes. Son aspect symbolique, très riche, l'associe à la dualité de l'être humain, la recherche spirituelle, l'expérience du divin, la femme vierge, l'amour et la protection. Carl Gustav Jung lui consacre une quarantaine de pages dans Psychologie et alchimie.
La licorne figure depuis la fin du xixe siècle parmi les créatures typiques des récits de fantasy et de féerie, grâce à des œuvres comme De l'autre côté du miroir de Lewis Carroll, La Dernière Licorne de Peter S. Beagle, Legend de Ridley Scott, ou encore Unico d'Osamu Tezuka. Son imagerie moderne s'éloigne de l'héritage médiéval, pour devenir celle d'un grand cheval blanc « magique » avec une corne unique au milieu du front. Son association récente à des univers fictifs tels que, entre autres, My Little Pony, lui donne une image plus mièvre, au point qu'elle est parodiée à travers le culte de la Licorne rose invisible, la web sérieCharlie la licorne ou encore le jeu Robot Unicorn Attack.
Sommaire
[masquer]- 1 Sommaire
- 2 Étymologie et terminologie
- 3 Origines
- 4 Description
- 5 Histoire
- 5.1 Sources grecques
- 5.2 Sources romaines
- 5.3 Apparition dans la Bible
- 5.4 Influence d'Alexandrie
- 5.5 Moyen Âge
- 5.6 Temps Modernes
- 5.7 xixe siècle
- 5.8 XXe et XXIe
- 6 Symbolisme
- 7 Héraldique et logos
- 8 Dans la culture populaire
Sommaire
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Étymologie et terminologie
Licorne vue par Adi Holzer en 1975.
L'ancêtre de la licorne est nommé monokeros (μονόκερως) en grec ancien, ce qui signifie « avec une seule corne »1. Ce nom grec est peut-être issu de l'Arabe « karkadann », qui désigne aussi le rhinocéros2.
Monokeros devient unicornis en latin, signifiant également « à une seule corne » (de unus, « une » et cornu, « corne »), d'où l'autre nom de la licorne en français : unicorne. Le nom français « licorne » est, d'après la théorie la plus récente, un emprunt du xive siècle à l'italien alicorno, lui-même forme altérée du latin chrétien unicornis3. Le latin unicornis a également pu donner le français « licorne » après suppression de la lettre « u » et transformation du « n » en « l »4. Selon la linguisteHenriette Walter, le mot « licorne » provient de deux erreurs successives : la prononciation « unicorne » sous l'influence du latin et du mot anglais unicorn a fait croire qu'il s'agit d'« une icorne », avec l'article indéfini, d'où l'icorne avec l'article défini, ce qui a donné le mot « licorne »5. Selon une interprétation moderne non-reconnue, ce nom pourrait signifier « corne de la loi », « épée de justice », « corne de lumière » ou même « corne de la lune » en langage des oiseaux6.
De nombreuses créatures issues de légendes et de récits d'explorateurs sont nommées ou surnommées « licorne », leur seul point commun étant la présence supposée d'une corne unique. C'est le cas du qilin chinois, plus connu au Japon sous le nom de kirin, de l’indrik russe, du re'em de la Bible, du tragelaphosd'Aristote, du Karkadann et du Shadhahvar perses, du Kartazonos (καρτάζωνος) de Claude Élien7 (dérivé du sanskrit « Kartajan », signifiant « roi du désert »2,7), du camphruch et du pirassoupi d'André Thevet. Après sa découverte, le mammifère marin à l'origine du commerce des « cornes de licorne » en occident, le narval, acquiert le surnom de « licorne de mer »8, le narval étant perçu comme la version aquatique de l'animal terrestre légendaire, ce surnom perdure9. L’Elasmotherium, grand rhinocerotidae éteint vu comme une origine possible des licornes asiatiques, est pour sa part surnommé la « licorne géante »10.
Origines
La licorne fascine l'humanité depuis des siècles, l'abondante production littéraire et artistique à son sujet en témoigne11. Bien que de nombreuses explications scientifiques dévoilent son origine (confusions avec des animaux réels et créations artificielles, en particulier), un mystère demeure dans l'universalité de sa légende et surtout son côté mystique et ésotérique, porté par des « artistes, conteurs et rêveurs » enclins à la méditation. Les œuvres historiques qui la mettent en scène possèdent souvent une forte charge symbolique, à l'image des tapisseries et des bestiaires du Moyen Âge12. Les théories concernant les origines de la licorne se révèlent plus ou moins sérieuses, à tel point qu'Odell Shepard suggère non sans humour dans son ouvrage The lore of the unicorn, publié en 1930, qu'elle doit provenir de l'Atlantide ou des montagnes de la lune13.
Le principal débat concerne l'influence de créatures unicornes asiatiques, peut-être connues depuis la préhistoire, sur la licorne occidentale dont l'image s'est forgée au Moyen Âge. Défendue par l'ésotériste Francesca Yvonne Caroutch, cette théorie est réfutée par la thèse de Bruno Faidutti et d'autres études universitairesA 1 qui pointent une tendance au syncrétisme sous l'influence, en particulier, des travaux de Carl Gustav Jung dans Psychologie et alchimie : « en mélangeant tout et n'importe quoi dans l'athanor de sa trop vaste culture », il voit dans la licorne « un symbole universel remontant à la nuit des temps », ce qu'elle n'a jamais étéA 2.
Origine occidentale
De Monocerote (de la licorne), gravure dans Historiae Animalium parConrad Gessner, 1551.
Il est très difficile de remonter l'histoire de la licorne occidentale au-delà des récits de Ctésias, au ive siècle av. J.-C.14. Au crédit d'une origine préhistorique, l'une des peintures naturalistes de Lascaux est qualifiée de « licorne » en raison de deux traits rectilignes évoquant une corne sur son front. Il s'agit vraisemblablement de la reproduction déformée d'un lynx15.
Les observations mal comprises d'animaux réels expliquent en grande partie les multiples descriptions de la licorne occidentale, mais l'histoire de cette créature se révèle bien plus longue et complexe, notamment en raison de sa symbolique. Création du haut Moyen ÂgeA 3, la licorne est une chimère. Elle ne provient pas d'une mythologie puisqu'elle ne présente aucun lien avec la création du mondeNote 1, les gestes héroïques ou la fondation d'une ville. Elle naît d'un mélange entre traditions orales et écrites, récits de voyageNote 2 et descriptions des naturalistesNote 3,A 4. Son origine est à rechercher dans les premiers bestiaires inspirés du Physiologos et les textes gréco-romains, eux-mêmes issus d'observation d'animaux exotiquesA 3 : d'après Odell Shepard, la licorne occidentale est issue du mélange entre le récit de sa capture par une viergedans le Physiologos, et la description de Ctésias qui en a fait un animal féroce ne pouvant être chassé par des techniques conventionnelles16.
Origine asiatique et orientale
Cette scène du combat d'un lion et d'un animal à une corne figure sur unbas relief des ruines de Persépolis. Elle est souvent citée comme « preuve » de l'ancienne origine orientale de la licorne. Gravure du livre de l’explorateur Carstens Niebuhr :Voyage en Arabie et en d’autres pays circonvoisins, Amsterdam, 1779.
Selon l'ésotériste Francesca Yvonne Caroutch, la licorne est issue du chamanisme asiatique. Sa première trace écrite remonte aux Annales de bambou, en Chine. Intégrée à la mythologie chinoise sous le nom de Qilin17, elle devient un symbole cosmique dans la civilisation mésopotamienne, de fécondité et de fertilité dans la civilisation indo-aryenne, elle est présente dans les plus anciennes cosmogonies et des textes religieux et philosophiques aussi bien chinois qu'indiens17 ou perses18, en Himalaya, Mésopotamie, et Crète préhellénique19.
Elle penche pour une lointaine origine indienne et perse19, l'orientaliste Shrader ajoutant que certains bas-relief perses, représentant un bœuf vu de profil (donc avec une seule corne visible), ont joué un rôle dans la diffusion de la légende de la licorne vers l'occident20. Chez les perses, l'unicorne de fécondité neutralise les poisons19. Comme dans le Bundahishn des anciens sages persans, on trouve trace de créatures unicornes dans l’Atharva-Véda, l’épopée de Gilgamesh21, leRāmāyana et le Mahâbhârata de l'Inde Antique, qui contribuent à diffuser cette légende dans le monde chrétien. Le conteindien de l'« ermite cornu », ou « Ekasringa », issu des Jātaka (récits des vies antérieures du Bouddha) et du Mahâbhârata, met en scène un ermite solitaire appelé Ekasringa, ce qui signifie « Corne unique »22. Il conte le périple d'un mystiqueméditant et vivant dans la forêt parmi les animaux. En buvant à la même source qu'une antilope divine, il donne naissance à un enfant doté d'une corne unique sur la tête et de pouvoirs surnaturels23. Ce conte est souvent cité pour son influence sur la licorne occidentale : certains éléments se retrouveraient dans les croyances perses, elles-mêmes à l'origine des récits gréco-romains concernant lemonoceros24. Au Japon, en Chine, en Inde et en Perse, des versions différentes existent25. Le conte d'Ekasringa, issu de la littérature sanskrite26, aurait, toujours d'après F.Y. Caroutch, forgé après de nombreux remaniements la légende de l'apparition merveilleuse d'un animal surmonté d'une corne en ivoire, qui ne peut être capturé que par une jeune fille26. Un autre récit asiatique parle de la rencontre entre un avant-garde de l'armée de Genghis Khan et un animal unicorne dans le désert, qui lui dit : « L'heure est venue pour votre Chef de rebrousser chemin et de retourner sur ses terres27 ».
Animaux réels aux sources de la légende
L'Hémione, un âne sauvage asiatique, est décrit comme le porteur d'une corne unique d'après Ctésias.
L'existence physique de la licorne reste longtemps une croyance partagée, son apparence plus vraisemblable que celle decréatures mythologiques comme la chimère ou le griffon, associée au fait que sa « corne » circule chez les apothicaires, expliquent sa longévité8. Il est fréquent, pour les explorateurs, de confondre des animaux bien connus avec une créature à corne unique. Pour Odell Shepard, le monoceros de Ctésias mélange des récits sur le rhinocéros indien, dont la corne est traditionnellement créditée de propriétés thérapeutiques, sur l'onagre (ou âne sauvage), réputé dans l'Antiquité pour sa vitesse et sa combativité (cité par exemple dans l'Anabase de Xénophon), et sur l'antilope du Tibet28. Les monoceros dansIndicaNote 4 sont décrits comme des ânes sauvages29.
Narval
Licorne, narval et licorne fossile comparés dans le Museum Museorum, en 1704.
Les défenses du narval retrouvées sur les rivages ont longtemps été prises pour des cornes de licornes.
Article détaillé : Narval.
Le narval joue, malgré lui, un rôle central dans la pérennité de la licorne occidentale. La grande dent unique de ce mammifère marin se vend comme corne de licorne de la fin du Moyen Âge à la Renaissance, en particulier au xvie siècle. La première mention d'un narval cornu figure dans l’Atlas Minor, ouvrage savant de 160730. Une autre description détaillée paraît en 1645 grâce à Thomas Bartholin, mais sans faire de lien entre « licorne de mer » et licorne terrestre31.
En 1704, un dessin du Museum Museorum compare la défense du narval (unicornu officinale), la « corne de licorne », un faux squelette reconstitué de licorne et une représentation équine de la licorne, titrée unicornu fictium32,A 5. La défense du narval reste longtemps considérée comme une corne et non comme une dent, probablement en raison du refus de la dissymétrie énoncé par Carl von Linné dans son Systema Naturae33. Le narval est depuis nommé la « licorne de mer ». S'il est admis que la plupart des « cornes de licorne » vendues comme antidote sont en réalité ses dents depuis le xviiie siècle34, si la découverte du narval fait s'effondrer le cours des « cornes de licorne » et met fin à leur commerce, la croyance en l'existence de la licorne perdure, même chez des érudits, jusqu'au milieu du xixe siècle35.
Rhinocéros et Elasmotherium
Reconstitution d'un elasmotherium par Heinrich Harder (1858-1935).
Tête d'un rhinocéros indien.
Articles détaillés : Rhinocéros indien, Rhinocéros de Java et Elasmotherium.
Le rhinocéros indien, plus petit que l'africain, est le seul animal terrestre existant à posséder une seule corne, avec le rhinocéros de Java. L'animal décrit par Pline l'Ancien au ier siècle s'en rapproche36, par ailleurs, des rhinocéros sont vus à Romedès le ier siècle av. J.-C.. Les Étymologies d'Isidore de Séville37, au vie siècle, sont une autre source de confusion puisqu'il décrit la capture de l'animal avec l'aide d'une vierge, ainsi que le combat furieux du monoceros, confondu avec le rhinocéros, face à l'éléphantA 6. Marco Polo décrit un autre rhinocéros38 à Java comme étant une licorne, dans le Devisement du monde. L'animal est :
— Marco Polo,
Ulysse Aldrovandi (1522-1607) soupçonne la nature de cette description : « Quant au monocéros de Paul de Venise (Marco Polo), je pense que personne ne pourra me reprocher d’y voir un rhinocéros. En effet, ils se ressemblent assez, d’après les marques qu’il en donne : sa taille proche de celle de l’éléphant, bien sûr, mais aussi sa laideur, sa lenteur, et sa tête porcine, caractéristiques qui décrivent bien le rhinocéros40. » La corne des rhinocéros est réputée posséder des propriétés médicinales, tout comme celle de la licorne. Cette confusion est fréquente, en particulier chez les érudits qui écrivent de faux récits de voyages en s'inspirant des sources de l'antiquité classique41.
Un animal éteint, Elasmotherium, est un énorme rhinocéros eurasien natif des steppes. Surnommé la « licorne géante », il possède une très grande corne unique au milieu de la tête. La description de cet animal pourrait s'être transmise oralement dans certaines légendes russes, selon Willy Ley10. Le témoignage d'Ibn Fadlânlaisse à supposer la survie d’Elasmotherium pendant les temps historiques, puisque la description de l'animal correspond parfaitement à la licorne karkadann de la Perse, et à la licorne zhi de la Chine42,43.
Antilopes
Oryx d'Arabie.
Un Éland.
Articles détaillés : Antilope, Oryx d'Arabie et Éland.
Diverses variétés d'antilopes, y compris l'oryx et l'éland, peuvent avoir contribué à propager la légende de la licorne44, notamment par le commerce de leurs cornes, attesté au Tibet avec l'antilope locale, par exemple45. Claude Élien fait référence à ce type d'animal en décrivant une corne noire et annelée pour le monoceros46. L'oryx d'Arabie, antilope blanche portant deux longues cornes minces pointées vers l'arrière, ressemble à un cheval unicorne vu de côté et à distance : Aristote lui attribue d'ailleurs une seule corne dans son Histoire des animaux47.
En Afrique australe, l'éland est une très grande antilope à connotation spirituelle et mystique, en partie parce qu'elle est capable de se défendre contre les lions et de les tuer. Souvent représenté dans l'art rupestre de la région, cet animal est lié à l'Autre Monde, les chamanes pratiquant une danse de l'éland. Sa graisse et ses cornes sont à la base de nombreux médicaments. Le respect pour l'éland pourrait avoir marqué les récits de voyageurs. Une prétendue corne de licorne exposée dans le château du chef du Clan MacLeod, en Écosse, est identifiée comme étant celle d'un éland.
Mammifères vivants avec une corne ou un bois
Il arrive qu'une seule des deux cornes d'un mammifère se développe, les deux cornes peuvent aussi se mêler et fusionner, ce qui donne l’impression que l’animal n’en porte qu’une. Quelques animaux à corne unique sont bien attestés, naturels mais rarissimes, ils ne constituent pas une espèce mais ces spécimens « monstrueux » suscitent des interprétations magiques. Ces cas sont documentés depuis l'Antiquité :
— Plutarque,
Le devin Lampon interprète ce présage comme la victoire du parti de Périclès sur celui de Thucydide, mais le philosophe Anaxagore dissèque le crâne et montre qu'il s'agit d'une malformation49. Ces cas restent connus de nos jours, puisque le parc naturel de Prato, en Italie, abrite depuis 2008 un chevreuil doté d'un boisunique. Gilberto Tozzi, le directeur du parc, pense qu'il s'agit d'une anomalie génétique, mais il ajoute « voici que le mythe devient réalité »50. Selon lui, l'animal, très timide, est conscient de son anormalité51.
Créations artificielles
Faux squelette de licorne reconstitué par Otto von Guericke, exposé à l'entrée du zoo d'Osnabrücken Allemagne.
Une autre origine possible est la création artificielle de mammifères dotés d'une corne ou d'un bois unique52, le cas de « licornes » créées artificiellement est documenté53 tant en occident qu'en orient ou en Afrique.
Au contraire de la licorne occidentale, les licornes asiatiques sont, à l'origine, des chèvres angora dont les cornes sont liées par le fer et le feu. Cette corne artificielle est courte, ressemblant à deux chandelles tressées8. La pratique, résultant d'un culte de la fertilité, perdure dans les confins du Kham, au Tibet oriental, jusqu'à la fin du xixe siècle. D'après F.Y. Caroutch, la présence de ces licornes artificielles donne naissance aux légendes et à leur symbolisme.
En occident, le cas le plus connu est celui d'os fossiles déterrés à Einhornhöhle (dans le massif du Harz, en Allemagne). Ces ossements sont reconstruits par le maire de Magdebourg, Otto von Guericke, comme une licorne en 1663. Cette soi-disant licorne, probablement née d'os de rhinocéros laineux et d'un mammouth sur lesquels sont fixés une défense de narval, n'a que deux jambes. Le squelette est examiné par Gottfried Leibniz, qui a douté de l'existence de la licorne et l'atteste, mais il est vite considéré pour ce qu'il est : un canular. Beaucoup plus récemment, en 1982, un bouc nommé Lancelot voit ses cornes modifiées artificiellement pour n'en former qu'une. Il est présenté comme « une licorne vivante » dans un cirqueaméricain54. Ses créateurs s'attribuent la redécouverte d'une technique perdue, mais face aux protestations de militants des droits animaliers, ils finissent par retirer l'animal. Un autre bouc aux cornes modifiées apparaît dans un bar à thème deWashington, en 200612. Ce processus a pu être utilisé par le passé pour créer des animaux présentés comme des licornes, appuyé par le fait que l'art médiéval les rapproche de chevreaux. Quelques-unes de ces licornes artificielles voyagent avec le cirque Ringling Brothers55.
Description
Les « licornes » occidentales et asiatiques sont assez différentes par leur description, leur seule caractéristique commune étant la présence d'une corne unique.
Licorne occidentale
D'après Bruno Faidutti, la licorne occidentale « eut une âme avant d'avoir un corps »A 7, une forme de « cavale blanche très parfaite56 » alliant la fine monture des damoiselles à la corne du narval, qui trône parmi les trésors royaux57. Les auteurs grecs ne représentent pas la créature qu'ils nomment monoceros, source d'inspiration des bestiaires médiévaux. Les premières licornes médiévales ressemblent donc rarement à un cheval blanc, pouvant être proche de chèvres, moutons, biches, voire chiens, ours, et même serpents. Leurs couleurs varient : bleues, brunes et ocre. Leur taille est plus proche de celle du chevreau que duchevalA 8.
- Licorne tachetée, miniature du Psautier Chludov, milieu duixe siècle.
- Licorne à silhouette de biche et corne courbée,bestiaire d'Aberdeen, vers1200.
- Licorne bleue proche d'unchacal, bestiaire duxiie siècle.
- Licorne à silhouettecanine, bestiaire anglais du xiie siècle.
- Folio 21r du bestiaire de Rochester, xiiie siècle.
Roger Caillois, Le Mythe de la licorne | |
[...] une cavale prodigieuse, blanche de robe, ressemblant à lahaquenée des demoiselles58. |
Des manuscrits basés sur la Topographie chrétienne de Cosmas Indicopleustès rapprochent la licorne d'une chèvre noire ou blanche, avec une barbichette et une longue corne droiteA 9. La généralisation de sa forme à la fois caprine et chevaline et de sa couleur blanche dans les représentations artistiques est le résultat du symbolisme et des allégories qui lui sont attribués auMoyen ÂgeA 10. La licorne occidentale acquiert généralement une très longue corne droite et torsadée, très caractéristique, issue de la défense du narval. C'est à la Renaissance qu'elle devient une créature plus fine, plus proche de la taille du cheval que de la chèvre, ne gardant que les sabots fendus et la barbichette en souvenir de son passé de « chevreau ». La robe blanche de cette licorne qui acquiert du cheval sa taille et sa noblesse s'impose pour un animal symbole de pureté et de modestieA 11.
Multiplicité des descriptions
Licorne dans une copie du Livre des propriétés des choses de Barthélemy l'Anglais, au début du xve siècle.
Les différences dans les descriptions de licornes par les explorateurs conduisent soit à réfuter son existence, soit à supposer de multiples espècesA 12. L’Historia Naturalis de Quadrupedibus de Jan Jonston en présente ainsi huit, avec des noms latins59, mais le problème se pose dès l'Antiquité, où l'on relève jusqu'à sept animaux « unicornes » : le rhinocéros, l'âne sauvage, le « bœuf indien », l'oryx, le bison, le « cheval indien » et le monoceros proprement dit60.
— Barthélemy l'Anglais,
La corne unique n'est plus forcément le lien entre tous ces animaux unicornes, puisqu'à la fin du xvie siècle, le cosmographe André Thevet décrit le Pirassoupi, « sorte de licorne à deux cornes » :
— André Thevet,
Licornes aquatiques
Article détaillé : Camphruch.
Le Camphruch dans le bestiaire d'Ulysse Aldrovandi, Monstrorum historiae, 1642.
Au milieu du xvie siècle apparaissent des récits d'explorateurs mentionnant d'étranges licornes aquatiques. Entre le promontoire de Bonne-Espérance et celui des Courantes est censé vivre un animal amphibie avec la tête et le crin d’uncheval, une corne de deux empans de long, mobile, tournant tantôt à dextre, tantôt à sénestre, se haussant et se baissant. Cet animal combat furieusement contre l’éléphant, sa corne est fort prisée contre les venins63.
Le Camphruch observé par André Thevet en 1575 y ressemble énormément. Alors qu'il voyage en Indonésie, il décrit une licorne aquatique dont le museau tient du phoque et du chat. L’avant du corps est semblable à celui d’une biche, avec une abondante crinière grise qui recouvre le cou. L'animal porte une longue corne torsadée et ses jambes postérieures sont palmées. Le camphruch chasse le poisson en l’empalant sur sa corne, qui a la particularité d’être mobile et de pouvoir soigner le poison, ce qui la rend très recherchée62. Quelques années plus tard, le nom est simplifié en Camphur dans les encyclopédies.
Représentations féeriques
Licorne, telle qu'on se la représente généralement depuis la fin duxixe siècle.
L'apparence de la licorne dans les œuvres du xixe siècle et d'après, inspirées par la féerie, accentue encore sa proximité avec le cheval blanc puisqu'elle perd parfois sa barbichette et ses sabots fendus. Solitaire, pure et bénéfique, la licorne porte désormais une corne unique de couleur blanche, dorée ou argentée au frontA 13. La taille de cette corne ne dépasse plus les 45 cm64. Elle est décrite comme « un cheval magique avec une corne », scintillante sous la lumière de la lune, cette corne dorée ou argentée renvoyant au monde féerique et à la magie11.
Bruno Faidutti cite la description de Bertrand d'Astorg à titre d'exemple :
Licornes asiatiques
Au Tibet, deux licornes entourent souvent la roue du Dharma en remplaçant les biches66.
Les licornes asiatiques diffèrent tant physiquement que symboliquement des occidentales, puisqu'elles sont généralement réputées calmes, douces, et porteuses de bonne fortune67.
Karkadann
Article détaillé : Karkadann.
Le Karkadann (de Kargadan, Perse : كرگدن « seigneur du désert ») est issu de traditions littéraires antiques, d'après lesquelles il vivrait dans les plaines de Perse et d'Inde. Son nom signifie aussi « rhinocéros ». Les représentations de cet animal existent dans l'art d'Inde du Nord. Comme la licorne occidentale, il est subjugué par les femmes vierges et combat férocement les autres animaux68. Sa corne est réputée empoisonnée, il possèderait des pouvoirs magiques et consommer sa viande bannirait les démons67.
Qilin et Kirin
Article détaillé : Qilin.
Le qilin, connu sous le nom de « licorne asiatique », est souvent représenté dans l'art ancien comme un reptile à queue de bœuf proche du cerf, portant deux cornes recouvertes de fourrure sur le front, parfois une seule dans les textes. Ces cornes lui permettent de séparer les justes de ceux qui ont quelque chose à se reprocher. Il représente la douceur, la bonté et la prospérité, surtout chez les enfants et les adolescents. Il vivrait mille ans et apparaitrait lors de la naissance desempereurs et des grands sages. Symbole de perspicacité, il est traditionnellement représenté dans les tribunaux chinois du système impérial sur la tenture séparant la salle d'audience et le cabinet du magistrat69. Il fait partie des cinq animaux sacrés associés aux éléments avec le dragon azur, l'oiseau vermillon, letigre blanc et la tortue noire18. Dans sa version japonaise, il se nomme Kirin70.
Shadhahvar
Le Shadhahvar, parfois qualifié de « licorne perse », est une créature carnivore semblable à une gazelle portant une seule corne. D'après la légende, lorsque le vent souffle dans cette corne unique, une mélodie proche de celle d'une flûte retentit, attirant les hommes et les animaux alentours. Le Shadhahvar en profite pour les attaquer, souvent d'une manière traitre. Cette créature est symboliquement plus proche des sirènes mythologiques que de la licorne occidentale. Sa première représentation figure dans un manuscrit d'al-Qazwini du xve siècle, en Iran71.
Histoire
Durant l'Antiquité, des animaux unicornes sont connus par les sources gréco-romaines. Ils n'appartiennent pas à une légende populaire vivante, et ne figurent que dans des récits de voyages et descriptions d'animaux recopiées les unes sur les autres. Ils ne marquent ni les arts plastiques, ni les récits créatifs, ni les légendes, ni la mythologie de l'Antiquité72. Par son omniprésence dans l'Art et les récits des lettrés, la licorne européenne devient ensuite l'animal imaginaire le plus important du Moyen Âge à la Renaissance.
Sources grecques
Les sources grecques se rattachent à l'histoire naturelle, la plupart de ces textes attestant d'une réelle croyance en l'existence d'un animal unicorne en Inde.
Ctésias
Le plus ancien texte de la littérature occidentale évoquant la licorne date de -416 à -398, il est dû au médecin grec Ctésias, qui réside dix-sept ans à la cour dePerse, avec Darius II et Artaxerxès II. À son retour en Grèce, il rédige une Histoire de l'Inde nommée Indica (l'Inde étant un pays où il n'a jamais séjourné), dont il reste des fragments rapportés au ixe siècle par Photios14. Ils décrivent, parmi les peuples et animaux fabuleux de l'Inde :
— Ctésias,
Ctésias semble croire fermement en l'existence de l'animal qu'il décrit2.
Aristote
Au ive siècle av. J.-C., le philosophe Aristote classe les animaux par le nombre de leurs cornes et de leurs sabots, peut-être en s'appuyant sur Ctésias. Il en distingue deux qui auraient une corne, l'âne indien et l'oryx :
— Aristote,
Mégasthène
Mégasthène est, vers 300 av. J.-C., envoyé comme ambassadeur à la cour de Chandragupta Maurya, roi des Indes, à Pataliputra sur les bords du Gange73. Il y reste une dizaine d'années et rédige son livre Indica74, le plus important livre sur l'Inde antique écrit après les conquêtes d'Alexandre. Il décrit un animal solitaire des montagnes appelé « Kartazoon » ou « kartajan » d'après la langue du pays. Pour la première fois, cet animal unicorne est doux avec les autres animaux. Querelleur envers les siens, son agressivité ne s'adoucit qu'à la saison des amours et sa corne est utilisée comme remède contre les poisons75. Strabon le cite en disant qu' « il existe dans les régions sauvages de l'Inde des chevaux à tête de cerf surmontée d'une seule corne »76.
Sources romaines
Licorne par Andres de Valdecebro,Madrid, 1658, inspirée de la description de Pline l'Ancien.
La croyance se perpétue à l'époque romaine, Jules César attestant lui-même la présence d'une sorte de cerf unicorne dans la forêt hercynienne77.
Pline l'Ancien
La description de Pline l'Ancien, au ier siècle, sert de base à de nombreux ouvrages plus tardifs :
— Pline l'Ancien,
Philostrate l'Athénien
Au iie siècle, Philostrate l'Athénien reprend le récit de Ctésias dans sa Vie d'Apollonius de Tyane, sans prêter foi aux vertus médicinales de la corne :
— Philostrate l'Athénien,
Claude Élien
Au début du iiie siècle, Claude Élien reprend peut-être les récits de Ctésias, ou ceux de Mégasthène :
— Élien,
Apparition dans la Bible
Les re'em d'après une gravure duHierozoycon, sive de Animalibus Scripturæ de Samuel Bochart en 1663.
Article détaillé : Re'em.
L'introduction de la licorne dans certaines traductions bibliques est l'une des causes de son inclusion à la mythologie chrétienne, entraînant son symbolisme médiéval80. Dans les livres de la Bible hébraïque, le mot hébreu re'em (רְאֵם), équivalent de l'arabe rim aujourd'hui traduit par « bœuf sauvage » ou « buffle », apparaît à neuf reprises avec ses cornes, comme une allégorie de la puissance divine81. Par ailleurs, le livre de Daniel utilise l'image d'un bouc avec une grande corne entre les yeux82 dans un contexte différent : comme métaphore du royaume d'Alexandre le Grand81.
Au iiie siècle av. J.-C. et iie siècle av. J.-C., quand les juifs hellénisés d'Alexandrie traduisent les différents livres hébreux pour en faire une version grecque appelée Septante, ils utilisent pour traduire re'em le mot monoceros (μoνoκερως), qu'ils doivent connaître par Ctésias et Aristote81.
À partir du iie siècle, le judaïsme rabbinique rejette la tradition hellénistique et revient à l'hébreu (le texte massorétique). Par contre, la Septante devient l'Ancien Testament du Christianisme et dans sa version latine, la Vulgate, le grec monoceros est traduit soit par unicornis, soit par rhinocerotis83. Selon Roger Caillois, leskabbalistes auraient noté les lettres de la licorne (en tant que Re'em) : resch, aleph et mem, celles de la corne étant (Queren) qoph, resch et nun84. Ce passage est fréquemment cité pour justifier du caractère indomptable de la licorne :
— Job (39, 9-10)
Influence d'Alexandrie
Selon Odell Shepard, les érudits d'Alexandrie placent réellement la licorne au cœur du symbolisme chrétien85. Au iiie siècle, de nombreux récits d'animaux assortis d'une morale circulent. Le premier bestiaire chrétien, le Physiologos, y trouve son origine. Son influence sur la diffusion de la légende de la licorne est considérable86.
Le Physiologos
Article connexe : Physiologos.
Le Physiologos, recueil de brefs récits vraisemblablement rédigé en Égypte au iie siècle87, raconte pour la première fois la capture d'un monoceros par des chasseurs utilisant une jeune vierge comme appât, entre autres descriptions d'animaux et de créatures imaginairesA 14. Le texte est présenté comme une technique de chasse, non comme un mytheA 14. Sa description pourrait toutefois être plus ancienne88,Note 5 : les différents auteurs du Physiologos ont pu créer de toutes pièces le récit de la capture de la licorne par une femme vierge en tant que symbole de l'incarnation du Christ, ce récit peut aussi trouver sa source dans la symbolique d'attraction sexuelle entre la corne phallique de la licorne et la vierge pure, moralisée et adaptée à une vision chrétienne89. Enfin, d'après Odell Shepard, ce récit pourrait être une pure création d'allégoristes chrétiens90. Traduite en latin dès le ive siècle, cette version grecque inspire d'innombrables auteurs de bestiaires occidentaux au Moyen Âge41 :
— Physiologos91
La version latine la plus répandue cite la chasse de la même manière, en terminant ce court récit par une morale chrétienne : « Il en va de même aussi de notre Seigneur Jésus Christ, unicorne spirituel, qui, en descendant dans le ventre de la Vierge, prit chair en elle, fut pris par les Juifs et condamné à mourir sur la croix. À ce sujet David dit : Et il est aimé comme le fils des unicornes [Ps. 28, 6] ; et à nouveau dans un autre psaume, il dit de lui-même : ‘Et ma corne sera relevée comme celle de l’unicorne.’ » [Ps. 91.11]41
Cosmas Indicopleustès
Cosmas Indicopleustès, marchand d'Alexandrie qui vit au vie siècle et voyage dans les Indes, écrit une cosmographie dans laquelle il cite la licorne. Il en fournit une représentation à partir de quatre figures en cuivre, qu'il aurait vues dans le palais du roi d’Éthiopie :
— Cosmas Indicopleustès,
Moyen Âge
Jeunes hommes chevauchant des boucs (un motif Dionysiaque de l'Antiquité), xiie siècle, Abbaye de Mozac. Les boucs peuvent être confondus avec des licornes.
Article connexe : Représentation des animaux dans l'art médiéval.
Le monoceros est étudié sporadiquement au xie siècle, sans laisser de traces notablesA 15. Dès la fin du xiie siècle et au début du xiiie siècle, la licorne devient l'un des thèmes favoris des bestiaires et de la tapisserie (dans une moindre mesure, des sculptures) dans l'occident chrétien8. Elle n’apparaît toutefois que dans les ouvrages pour lettrés, soit une infime partie de la population médiévale. Il n’en est pas fait mention dans les contes et chansons du folklore populaireNote 6,A 16. Unfolklore tardif, basé sur l'homophonie, veut qu'un seigneur du Maine soit un jour revenu d'une lointaine expédition avec une licorne, et l'aie perdue. Il se mit à hurler « Ma licorne ! Ma licorne ! », d'où le nom du village : Malicorne-sur-Sarthe93,64.
Bestiaires et miniatures
Galerie : Licorne dans les miniatures médiévales
La Capture de la licorne. Miniature d’un bestiaire anglais en latin sur vélin, copié dans les premières années duxiiie siècle.
Les premières licornes européennes apparaissent dans des bestiaires inspirés duPhysiologos, malgré les efforts de certains Papes pour interdire sa diffusion car il est considéré comme hérétiqueNote 7. Le récit est traduit dans un très grand nombre de langues, y compris l'arabe, le syriaque, le latin, l'arménien, le vieux haut allemand, l'islandais, le vieux français, le provençal, l'éthiopien, l'italien et le vieil anglais94. L'influence des textes gréco-romains, comme celui de Pline l'Ancien, est moindreA 14. La licorne acquiert un symbolisme chrétien justifiant sa présence dans toutes sortes d'œuvres religieuses, bien qu'elle soit issue de descriptions païennes94. Elle rejoint le lion et l’éléphant dans les bestiaires : personne ou presque n’ayant eu l’occasion de voir ces animaux exotiques en Europe, l’existence réelle du monoceros, quelque part dans un lointain pays, n'est pas remise en cause34,A 17. Des centaines, voire des milliers de miniatures présentent la même mise en scène inspirée du Physiologos : la bête est séduite par une vierge traitresse, et un chasseur lui transperce le flanc avec une lanceA 18. Liée à la virginité des jeunes filles, la scène de « capture de la licorne » semble issue de la culture de l’amour courtois65, du respect de la femme, des loisirs délicats, de la musique et de la poésie8.
Selon les versions, la jeune femme désireuse d'attirer une licorne doit parfois être nonne, de naissance noble, pure de cœur, d'une grande beauté, vierge de tout contact avec un homme, ou encore tenir un miroir. La licorne est créditée du pouvoir de reconnaître les vierges par l'odorat, ou grâce à ses propres dons magiques67. Si la femme n'est pas vierge ou si des pensées impures lui occupent l'esprit, la licorne la tue et s'enfuit. Le théologien Alain de Lille explique en son temps cette attirance des licornes pour les vierges via la théorie des humeurs : la licorne, « chaude » de nature, est irresistiblement attirée par une jeune fille frigide95.
Pierre de Beauvais
Chasse à la licorne d'après la miniature d’un manuscrit artésien du Bestiaire de Pierre de Beauvais, xiiie siècle.
Pierre de Beauvais cite littéralement le Physiologos. Cet ouvrage compare Jésus-Christ à « une licorne céleste qui descendit dans le sein de la Vierge », et fut pris puis crucifié à cause de son incarnation. La corne ornant le front de la licorne est symbole de Dieu, la cruauté de la licorne signifie que personne ne peut comprendre la puissance de Dieu, sa petite taille symbolise l'humilité de Jésus Christ dans son incarnation96,16.
Hildegarde de Bingen
Le Liber Subtilitatum de Divinis Creaturis (Livre de subtilité des créatures divines) de l'abbesse Hildegarde de Bingen, rédigé auxiie siècle, est à la fois le plus riche des bestiaires médiévaux et le plus éloigné de la tradition grecque, puisqu'il s'attache aux propriétés des animauxA 19. Elle recommande un onguent à base de foie de licorne et de jaune d’œuf contre la lèpre97. Le port d’une ceinture en cuir de licorne est censé protéger de la peste et de la fièvre, tandis que des chaussures en cuir de cet animal éloigneraient les maladies des pieds98.
Guillaume Le Clerc de Normandie
Le plus détaillé des récits de « capture de la licorne » figure dans le Bestiaire divin de Guillaume Le Clerc de Normandie, au xiiie siècle :
— Guillaume Le Clerc de Normandie,
Autres bestiaires
Chasse à la licorne dans le Bestiaire d’amour de Richard de Fournival, fin xiiie siècle : la vierge tient un miroir.
Mise à mort d'une licorne sur unbestiaire italien du xive siècle.
Brunetto Latini (1230-1294) donne dans son Livre du Trésor la description d'une licorne redoutable dont le corps ressemble à celui d'un cheval, avec le pied de l'éléphant, une queue de cerf et une voix épouvantable. Sa corne unique est extraordinairement étincelante et a quatre pieds de long, elle est si résistante et acérée qu'elle transperce sans peine tout ce qu'elle frappe. La licorne est cruelle et redoutable, personne ne peut l'atteindre ou la capturer avec un piège. La description de la chasse est la même que dans les autres bestiaires100. Philippe de Thaon, vers1300, précise que la vierge doit découvrir son sein, puis que « la licorne sent son odeur et vient à la pucelle, baise son sein et s’y endort, ce qui entraine sa mort »101. Giovanni da San Geminiano parle dans son Summa de Exemplis et Rerum Similitudinibus Locupletissima d'une odeur de virginité qui rend la licorne douce comme un agneau lorsqu'elle se réfugie dans le giron d'une jeune vierge102.
Marco Polo et la légende de Bucéphale
Au xiiie siècle, Marco Polo dit avoir aperçu une licorne dans son Devisement du monde39, mais sa description rappelle le rhinocéros40. C'est également au Moyen Âge qu’apparaissent les représentations du cheval d'Alexandre le Grand, Bucéphale, portant une corne au front, symbole de puissance et de divinité103. Bucéphale est censé se nourrir de chair humaine, mais seul Alexandre peut le monter, ce qui rejoint la légende de la licorne attendrie par une viergeA 20. Marco Polo y fait allusion : « On pouvait trouver en cette province (l'Inde) des chevaux descendus de la semence du cheval à corne unique du roi Alexandre, nommé Bucéphale ; lesquels naissaient tous avec une étoile et une corne sur le front comme Bucéphale, parce que les juments avaient été couvertes par cet animal en personne. Mais toute la race de ceux-ci fut détruite. Les derniers se trouvaient au pouvoir d’un oncle du roi, et quand il refusa de permettre au roi d’en prendre un, celui-ci le fit mettre à mort ; mais de rage de la mort de son époux, la veuve anéantit ladite race, et la voilà perdue104... »
Contes notables
Le dit de l’unicorne et du serpent
Ce conte médiéval rapporté par Jacques de Voragine entre 1261 et 1266 met en scène un homme nommé Barlaam, qui vit dans le désert près de Senaah où il prêche souvent contre les plaisirs illusoires du monde. Instruisant Josaphat, le fils du roi, il lui raconte la parabole suivante :
« Ceux [...] qui convoitent les délectations corporelles et qui laissent mourir leur âme de faim, ressemblent à un homme qui s'enfuirait au plus vite devant une licorne qui va le dévorer, et qui tombe dans un abîme profond. Or, en tombant, il a saisi avec les mains un arbrisseau et il a posé les pieds sur un endroit glissant et friable ; il voit deux rats, l’un blanc et l’autre noir, occupés à ronger sans cesse la racine de l’arbuste qu'il a saisi, et bientôt ils l’auront coupée. Au fond du gouffre, il aperçoit un dragon terrible vomissant des flammes et ouvrant la gueule pour le dévorer ; sur la place où il a mis les pieds, il distingue quatre aspics qui montrent la tête. Mais, en levant les yeux, il voit un peu de miel qui coule des branches de cet arbuste ; alors il oublie le danger auquel il se trouve exposé, et se livre tout entier au plaisir de goûter ce peu de miel. La licorne est la figure de la mort, qui poursuit l’homme sans cesse et qui aspire à le prendre. »105.
La Dame à la licorne et le Chevalier au lion
Vers 1350, un conte courtois méconnu de Blanche de Navarre raconte qu'une princesse belle et chaste reçoit une licorne du Dieu d’amour et se fait appeler « la blanche dame que la licorne garde ». Elle épouse un seigneur qui part un jour à l’aventure et capture puis apprivoise un lion. La Dame se fait dire que son chevalier est mort, un mauvais seigneur en profite pour l’enlever. Le chevalier au lion, de retour, part à l’assaut du château du ravisseur, libère sa dame et tous deux quittent le château maudit, la dame montée sur sa licorne et le chevalier sur son lion106.
Œuvres d'art notables
Article détaillé : Licorne dans l'art.
La Dame à la licorne, tapisserie de la vue (détail) exposée au Musée de Cluny.
La Licorne captive, Tapisserie de la série de La Chasse à la licorne, ateliers bruxellois (?)107, vers 1500, Musée des Cloisters, Metropolitan Museum of Art,New York.
La Chasse à la licorne est une célèbre série de sept tapisseries exécutées entre1495 et 1505, qui représentent un groupe de nobles poursuivant et capturant une licorne. Cette série, probablement exécutée pour un commanditaire français (peut-être à l'occasion d'un grand mariage) par les ateliers de Bruxelles107 ou de Liège108, est ensuite propriété de la famille de La Rochefoucauld, avant d'être achetée parJohn D. Rockefeller, qui en fait don au Metropolitan Museum, où elle se trouve aujourd'hui. Les six tapisseries de La dame à la licorne, datées de la même époque et exposées au Musée de Cluny à Paris, sont également très célèbres. Sur chacune d'elles, un lion et une licorne sont représentés à droite et à gauche d'une dame. Cinq de ces représentations illustrent un sens. La sixième tapisserie, sur laquelle on peut lire la formule « À mon seul désir » sur une tente, est plus difficile à interpréter109.
Temps Modernes
Avec l'arrivée de la Renaissance, la licorne rejoint des traités de médecine à propos de l’usage de sa « corne » et des études bibliques discutant de sa présence dans les textes sacrés, en plus des ouvrages décrivant les animaux, des récits de voyages où les explorateurs affirment l'avoir rencontrée. Quelques traités d’alchimie, d'astrologie ou d’héraldique ou des commentaires sur les textes gréco-romains la mentionnent égalementA 21.
Corne de licorne
Dent de narval présentée comme une corne de licorne.
Article détaillé : Corne de licorne.
La fameuse « corne de licorne » se voit associer, depuis la fin du Moyen Âge, des pouvoirs magiques et des vertus de contrepoison qui en font l'un des remèdes les plus chers et les plus réputés à la RenaissanceA 4. Sa principale utilisation médicinale est liée à son pouvoir de purification, mentionné pour la première fois au xiiie siècle. Les légendes sur ses propriétés circulant dès le Moyen Âge sont à l’origine du commerce florissant de ces objets, qui deviennent de plus en plus communs jusqu'à la fin du xviiie siècle, où leur origine réelle est connue34. La « corne de licorne », de forme torsadée, s’échange et circule110, elle est censée être le bien le plus précieux que puisse posséder un roi64. Son usage est connu à la cour du roi de France pour déceler la présence de poison dans les plats et les boissons : si la corne se met à fumer, c'est que le met est empoisonné64. Elle est aussi consommée de plusieurs façons111. Le cours de la « corne de licorne » atteint son apogée au milieu du xvie siècle, où elle est considérée comme le meilleur contrepoison existant avec la pierre debézoard. Son prix ne cesse de baisser au cours des années suivantes pour s'effondrer au xviie siècle, quand la découverte du narval est connue.
Interprétations bibliques
Gravure extraite d'une édition desAntiquités judaïques de 1631.
Les traducteurs de la Bible du roi Jacques et ceux de la Bible de Martin Luther rendent le mot « re'em », respectivement, par « unicorn » et « einhorn », qui signifient « licorne »2,112. Cette présence de licornes dans la Bible forme une preuve par autorité de l'existence de l'animal, en particulier pendant la Renaissance, puisque la Bible est censée, pour bon nombre deChrétiens de l'époque, être dictée par DieuA 22,83. De nombreuses interprétations et des contes, en particulier Juifs, apparaissent en rapport avec l'épisode du Déluge113. Selon un conte russe, la licorne refuse de monter dans l'Arche de Noéet préfère nager, sûre de survivre. En quarante jours et autant de nuits, elle reçoit des oiseaux fatigués sur sa corne. Alors que les eaux commencent à baisser, l'aigle se pose à son tour sur sa corne et la licorne, épuisée, coule et se noie114. Selon la tradition talmudique, la grande corne de la licorne, signe d'orgueil, l'empêche de trouver une place dans l'Arche115,116. D'après des interprétations de la tradition hébraïque, la licorne ne prend pas place dans l'arche de Noé mais ses qualités lui permettent de survivre au déluge, certaines versions ajoutent qu'elle y parvient en devenant le narval2. Dans la gravure ci-contre, extraite d'un exemplaire des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe publié en 1631, la licorne est le seul animal à ne pas être en couple parmi ceux que Noé s'apprête à sauver des eaux.
Récits de voyages et d'exploration
Pierre Pomet mentionne cinq espèces de licornes dans son Histoire générale des drogues.
Jan Jonston mentionne huit espèces de licornes dans Historia Naturalis de Quadrupedibus,Amsterdam, 1652.
Les récits de voyages et d'explorations forment l'une des bases de la légende de la licorne : dès l’antiquité, Ctésias affirme à son retour des Indes que l’âne de ce pays porte une corne unique au milieu de la tête. Ses dires sont repris par Aristote. De la fin du Moyen Âge à la Renaissance, à l'époque des grandes explorations, de nombreux voyageurs assurent avoir vu des licornes et en font des descriptions très précises, souvent contradictoires, qui amenèrent certains interprètes à croire que les licornes formaient une famille comprenant des races différentes. D'autres interprètes doutent de la réalité de son existenceA 12.
Ludovico de Verthema
Lors d'un séjour à La Mecque en 1503, l'explorateur italien Ludovico de Verthema rapporta avoir vu deux licornes dans un enclos, elles auraient été envoyées au Sultan de La Mecque par un roi d’Éthiopie en gage d’alliance, comme la plus belle chose qui soit au monde, un riche trésor et une grande merveille.« Le plus grand est fait comme un poulain d’un an, et a une corne d’environ quatre paumes de long. Il a la couleur d’un bai brun, la tête d’un cerf, le col court, le poil court et pendant sur un côté, la jambe légère comme un chevreuil. Son pied est fendu comme celui d’une chèvre et il a des poils sur les jambes de derrière. C’est une bête fière et discrète117. »
Jérôme Lobo
Le jésuite portugais Jérôme Lobo cherchait les sources du Nil quand il rapporte sa rencontre avec des licornes dans un récit de 1672 : « C’est là que l’on a vu la véritable licorne... Pour la licorne, on ne peut la confondre avec le rhinocéros qui a deux cornes, pas droites mais courbées. Elle est de la grandeur d’un cheval de médiocre taille, d’un poil brun tirant sur le noir ; elle a le crin et la queue noire, le crin court et peu fourni… avec une corne droite longue de cinq palmes, d’une couleur qui tire sur le blanc. Elle demeure toujours dans les bois et ne se hasarde guère dans les lieux découverts. Les peuples de ces pays mangent la chair de ces bêtes comme de toutes les autres118. »
Autres récits
Frontispice de De unicornu observationes novae, 1678.
Ambroise Paré cite le chirurgien Louis Paradis qui décrit une licorne : « son poil était couleur de castor, fort lissé, le cou grêle, de petites oreilles, une corne entre les oreilles fort lissée, de couleur obscure, basanée, de longueur d’un pied seulement, la tête courte et sèche, le mufle rond, semblable à celui d’un veau, les yeux assez grands, ayant un regard fort farouche, les jambes sèches, les pieds fendus comme une biche, la queue ronde et courte comme celle d’un cerf. Elle était tout d’une même couleur, excepté un pied de devant qui était de couleur jaune119. »
En 1652, Thomas Bartholin cite « un animal de la grandeur d’un cheval moyen, de couleur grise comme un âne, avec une ligne noire sur toute la longueur du dos, et une corne au milieu du front longue de trois spithames120 ».
En 1690, le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière donne cette définition de l'unicorne : « Il a une corne blanche au milieu du front, de cinq palmes de longueur... ». Un voyageur portugais décrit des licornes éthiopiennes en ces termes : « La licorne, qu’on trouve dans les montagnes de Beth en la Haute Éthiopie, est de couleur cendrée, et ressemble à un poulain de deux ans, hormis qu’elle a une barbe de bouc, et au milieu du front une corne de trois pieds, qui est polie et blanche comme de l’ivoire et rayée de raies jaunes, depuis le haut jusqu’en bas121 ».
Lieux d'observation
Les récits d'explorateurs concordent parfois pour situer les licornes. L'Inde est très souvent citée, de même que l'Éthiopie, et ces deux pays forment les « terres d'élection des licornes »A 23. D'autres témoignages isolés mentionnent plusieurs lieux auMoyen-Orient, Madagascar, le Caucase, l'Asie du Sud-Est et, plus exceptionnellement, les côtes est américaines ainsi que le Groenland et l'Antarctique.
Les licornes américaines sont censées vivre près de la frontière canadienne : « des animaux ressemblant à des chevaux, mais avec des sabots fendus, le poil dru, une corne longue et droite au milieu du front, la queue d’un porc, les yeux noirs et le cou d’un cerf122. ». Plus loin dans le même ouvrage, l'auteur décrit « des chevaux sauvages au front armé d’une longue corne, avec une tête de cerf, ayant le poil de la belette, le cou court, une crinière pendant d’un seul côté, les pattes fines, des sabots de chèvres122. »
La licorne survit aux différentes phases d'exploration de la Renaissance, contrairement à d'autres animaux légendaires comme le dragon et le griffon qui rejoignent les mythologies et les récits folkloriquesB 1. Lorsque des régions où sont censées vivre les licornes se retrouvent entièrement explorées, d'autres récits mentionnent la bête dans des régions plus inaccessibles encore, comme le Tibet123,124, l'Afrique du Sud et surtout le centre de l'AfriqueA 24.
Ouvrages savants et encyclopédies
Licorne. Albert le Grand, De animalibus, estampe, Francfort sur le Main (1545). La silhouette de la licorne tient à la fois de la chèvre (sabots fendus, poils plus longs à l'arrière des jambes, barbiche) et du cheval (force musculaire, poitrail, crinière, forme de la tête).
Des ouvrages savants consacrés à la licorne paraissent de la fin du xvie siècle au xixe siècle, dans de multiples encyclopédies, elle cohabite avec les animaux réels. Ces ouvrages évitent pour la plupart toute référence aux bestiairesmédiévaux et se basent sur les multiples récits et témoignages, souvent disparates, des explorateurs ayant prétendument croisé des licornes. Ils dissertent sur l'existence de l'animal, son apparence et ses propriétésB 2.
Conrad Gesner
En 1551, l’Historia Animalium de Conrad Gesner est considérée comme l'une des premières compilations d’histoire naturelle et connait de nombreuses rééditions. Il consacre six pages à la licorne et surtout aux propriétés médicinales de sa corne, mais ne se prononce pas sur la réalité de l'existence de l'animal125,126.
Ambroise Paré
Ambroise Paré remarque dans son Discours de la licorne, en 1582, une étonnante disparité dans les descriptions de l'animal présenté tantôt comme un cerf, un âne, un cheval, un rhinocéros voire un éléphant, avec des différences physiques importantes tant pour la couleur (pelage blanc, noir ou brun), la taille de la corne, que la forme des pieds. Il qualifie la licorne de « chose fabuleuse127 » et reçoit les foudres de certains théologiens : « S’il y a des licornes... ce n’est pas pour ce que l’Écriture Sainte le dit, mais pour ce que réellement et de fait il y en a, l’Écriture Sainte le dit128 ». Il remet aussi en doute l'utilisation de la corne de licorne comme contrepoison, et procède à une expérience où il met un crapaud, animal alors réputé venimeux, dans « un vaisseau plein d’eau où la corne de licorne avait trempé ». Il retrouve l'animal trois jours plus tard « aussi gaillard que lorsqu'il l'y avait mis »127. L'ouvrage multiplie ainsi les exemples et les preuves inspirées de laméthode expérimentale pour réfuter l'existence de la licorne, et surtout pour combattre l'usage médicinal de sa corne, très répandu à l'époque127.
Laurent Catelan
Cabinet de curiosités où on peut apercevoir une corne de licorne.
L'apothicaire Laurent Catelan tient un cabinet de curiosités et consacre son Histoire de la nature, chasse, vertus, proprietez et usage de la lycorne à la défense de la bête, en 1624. Il oppose les arguments d'Ambroise Paré aux siens, et se base sur les témoignages d'explorateurs, l’Écriture Sainte et le Re'em pour valider l'existence de la licorne. Il la décrit comme uneespèce à part entière qui, en fonction de son âge et du lieu où elle vit, présente des apparences différentes. Violente et féroce, elle se nourrit de poisons qui se concentrent dans sa corne. Son odorat lui permet de reconnaître l’eau empoisonnée et sa corne, dont l'intérieur est lui aussi empoisonné, attire à elle tous les poisons présents dans l’eau par sympathie, levenin attirant le venin. Cette même corne, très puissante car unique, a le double du pouvoir des cornes des animaux qui en possèdent deux. L'odorat permet à la licorne de reconnaître la virginité, elle s'évanouit de joie lorsqu'elle rencontre une vierge. Capturée, la licorne se laisse mourir de faim. L'absence de cadavre de licorne retrouvé entier s'expliquerait selon lui par le fait que leurs possesseurs ne tenaient pas à se les faire enlever. Il dit aussi qu'il est impossible de créer de fausses « cornes de licorne »129.
Constellation de la licorne
Article détaillé : Licorne (constellation).
La constellation de la Licorne aurait été nommée par l'astronome néerlandais Petrus Plancius en 1613, et cartographiée par Jakob Bartsch en 1624. Elle apparaitrait sur des travaux de 1564 et Joseph Scaliger rapporte l'avoir vue sur un ancien globe céleste perse. Il s'agit d'une constellation moderne et elle n'est pas associée à une quelconque mythologie, mais nommée ainsi par simple analogie avec l'image de la licorne légendaire à cette époque130.
xixe siècle
La fin d'une croyance
Gravure romantique du xixe siècle.
Jusqu'au milieu du xixe siècle, la licorne est parfois encore considérée comme réelle. La revue de l'orient de 1845 en fait une description encyclopédique, insistant sur le fait qu'« elle court toujours en ligne droite car la roideur de son cou et son corps ne lui permet guère de se tourner par le côté. Elle peut difficilement s'arrêter quand elle a pris son élan et renverse avec sa corne, ou coupe avec ses dents, les arbres de médiocre grosseur qui gênent son passage. On compose d'excellents remèdes avec sa corne, ses dents, son sang et son cœur, qui se vendent très cher ». En 1853, l'explorateurFrancis Galton la cherche désespérément en Afrique australe, offrant de fortes récompenses pour sa capture : « Les Bushmen parlent de la licorne, elle a la forme et la taille d’une antilope, avec au milieu du front une corne unique pointée vers l’avant. Des voyageurs en Afrique tropicale en ont aussi entendu parler, et croient en son existence. Il y a bien de la place pour des espèces encore ignorées ou mal connues dans la large ceinture de terra incognita au centre du continent »131. Le Glossaire archéologique du Moyen Âge, de Victor Gay, en 1883, est le dernier ouvrage à la mentionner comme réelle.
Elle se retrouve sur de nombreux filigranes de la fin du xixe siècle à la première moitié du xxe siècle. Ils possèdent des interprétations symboliques inspirées des signes de reconnaissances de sociétés secrètes, comme les cathares, les alchimistes, les sociétés antichrétiennes, maçonniques ou rosicruciennes132,133.
Apparition dans des ouvrages de fiction
Illustration de la licorne du Vaillant Petit Tailleur par Carl Offterdinger, fin du xixe siècle.
Articles connexes : Le Vaillant Petit Tailleur, De l'autre côté du miroir et La Tentation de saint Antoine.
Lewis Carroll, De l'autre côté du miroir | |
Alors, maintenant que nous nous sommes vues l'une l'autre, dit la Licorne, si tu crois en moi, je crois en toi134. |
Devenue une créature de légende à l'instar des dragons et autres griffons, la licorne figure de plus en plus dans les œuvres de fiction. Le Vaillant Petit Tailleur, conte collecté par les frères Grimm, met en scène un jeune homme frêle issu du peuple qui doit tuer ou capturer une licorne féroce dans la forêt, et y parvient par la ruse. La licorne rejoint ensuite un riche bestiaire imaginaire qui la place au fond d'une forêt ou dans un pays parallèle en compagnie des fées. De l'autre côté du miroir, roman de Lewis Carroll paru en 1871, parle de la licorne dans le chapitre 7. Le Lion et la Licorne s'y affrontent, en référence aux symboles héraldiques de l'Angleterre et de l’Écosse.
Flaubert en fait une description poétique dans La Tentation de saint Antoine :
— Gustave Flaubert,
XXe et XXIe
La licorne rose invisible.
La licorne reste une créature imaginaire très souvent mentionnée dans la culture moderne, à l'instar du loup-garou et dudragon, sans doute parce qu'elle provoque la rêverieB 3. Elle est devenue très populaire dans les courants New AgeA 13 et chez les artistes féeriques, de nombreux articles de blog et des jeux d'élevages virtuels lui sont consacrés. Bien que n'ayant jamais réellement existé, la licorne peut être décrite avec plus de précision par une majorité de personnes que des animaux réels comme l'ornithorynque et le dodoB 4. Elle fait l'objet d'une très abondante production, en témoignent les nombreux jouets, décorations de chambres d'enfants, posters, calendriers ou encore figurines qui la représentent11, en particulier à destination des petites filles.
La licorne apparait dans des romans de fantasy et de fantastique, des jeux de rôle et certains films. Les licornes du filmLegend sont jouées par de fins chevaux blancsA 13 portant une fausse corne dorée135, ils vivent dans les forêts et au bord des rivières. C'est grâce à une corne de licorne que le démon Darkness est vaincuA 13. Bien qu'elle ne soit mentionnée nulle part dans les premières légendes arthuriennes, la licorne est fréquemment associée, dans l'imaginaire collectif comme dans les œuvres modernes, à Merlin, à la forêt de Brocéliande et aux légendes celtes136.
La licorne rose invisible est une parodie de religion qui repose sur le paradoxe selon lequel la licorne est à la fois rose et invisible.
Le 29 novembre 2012137, plusieurs périodiques annoncent que, dans un but apparent de propagande, la Corée du Nord déclare avoir découvert à Pyongyang une ancienne tanière de licornes138. The Guardian indique, toutefois, que l'information a été relayée avec une erreur : la licorne étant spécifique aux légendes occidentales, il s'agit d'une traduction erronée du Qilin asiatique. Les archéologues nord-coréens suggéraient, non pas que cette créature légendaire ait réellement existé, mais qu'ils avaient découvert un site associé à la légende du roi Jumong139.
De nos jours, même si plus aucun scientifique ne croit à l'existence de licornes depuis plusieurs siècles, elles demeurent parfois utilisées comme exemple méthodologique en biologie, par exemple pour modéliser la répartition de la population d'une espèce cryptique140.
Symbolisme
Jeune femme sauvage en compagnie d'une licorne, vers 1460-1467.
Avant que Carl Gustav Jung ne lui consacre une quarantaine de pages dans Psychologie et alchimie en 1944141, la licorne n'intéresse pas tant psychanalystes et symbologuesA 2. Les interprétations symboliques sont devenues très nombreuses. D'après les bestiaires médiévaux, elle a pour ennemi naturel l'éléphant et s'oppose plus tard au lion, dont l'aspect solaire et masculin est l'inverse du sienA 25.
La « lettre du Prêtre Jean », un faux de la fin du xiie siècle, raconte le combat entre un lion et une licorne en ces termes :
— Prestre Jehan142.
Le combat de la licorne contre l'éléphant et le lion n'est cependant pas un thème artistique médiéval aussi populaire que celui de sa chasse ou de la purification des eauxA 26.
L'idée selon laquelle la licorne ne peut vivre qu'à l'état sauvage, loin des hommes, dans une forêt reculée dont on ne peut l'arracher, auquel cas elle mourrait de tristesse, est mise en avant par Carl Jung64 mais trouve son origine dans les bestiaires médiévaux et l'iconographie du xve siècle, lorsqu'elle est associée aux hommes, femmes et bêtes sauvages143, ou chevauchée par des sylvainsA 27.
À l'époque moderne, la licorne est parfois représentée ailée, ce qui lui confère également les attributs de Pégase110.
Dualité
Statue de licorne à Saverne, dans leBas-Rhin.
La dualité de la licorne est déjà évoquée par Voltaire :
— Voltaire,
Elle renvoie au Christ ou à la Vierge144. Sa corne est à la fois phallique et épée divine, exaltation des plaisirs de la chair, agressivité sexuelle masculine et aspiration à l'ascèse et la sainteté64. Torsadée, elle pourrait être un symbole de non dualité ou de dualité résolue, et un objet de justice sereine6. La nature ambivalente de la licorne, désignant la fusion des polarités, lui permet d'être soleil ou lune, soufre ou mercure, fertilité ou virginité19 : lorsqu'elle est représentée avec sa cornedressée vers le ciel, elle représente la puissance et la fertilité34. Elle est peut-être liée au capricorne astrologique, symbolisant la re-naissance du jeune Soleil, du Dieu-Fils solaire dont la corne étincelante figure le premier rayon au moment du solstice d’hiver6. Selon le dictionnaire des symboles, les œuvres d'art qui présentent deux licornes s'affrontant sont l'image d'un violent conflit intérieur entre deux de ses valeurs : virginité et fécondité144. Puisque la licorne renferme une opposition intérieure, une union des contraires, elle devient selon Carl Jung un symbole exprimant le monstre hermaphrodite de l'alchimie141.
Spiritualité et expérience du divin
Pour Francesca Yvonne Caroutch, la licorne est un animal spirituel venu d'Orient, toutes les licornes seraient issues de la projection de l'expérience intime, fondamentale, du retour de l'unité. C'est l'animal de la tradition par excellence, elle lie la terre au ciel, le visible à l'invisible, les forces telluriques et cosmiques, le conscient et l'inconscient, les opposés, les polarités, elle est puissance et verticalité. Elle travaille sur les énergies subtiles, grâce à l'œil intérieur19. Sa corne lui confère une dimension spirituelle car il s'agit d'une spirale en 3-D au niveau du troisième œil145. C'est aussi une flèche spirituelle, un rayon solaire et une épée de dieu, la révélation divine et la pénétration du divin dans la créature144.
Tous les récits médiévaux et leurs illustrations à l'époque du Moyen Âge sont d'inspiration chrétienne, la licorne représentant la trahison envers le Christ, son flanc percé par une lance comme dans l'épisode biblique de la PassionA 28. Selon un bestiaire de 1468, « la licorne symbolise les hommes violents et cruels auxquels rien ne peut résister, mais qui peuvent être vaincus et convertis par le pouvoir de Dieu146 ». Sa corne capte l'énergie cosmique, selon F.Y. Caroutch et leDictionnaire des symboles, cette bête divine représente l'Esprit Saint fécondant la madone dans les « Annonciations à la licorne », l'incarnation du verbe de Dieu dans le sein de la Vierge Marie. La licorne est à elle seule puissance, faste et pureté, une pureté agissante et une sublimation miraculeuse de la vie charnelle144,19. Jung mentionne aussi un ancien traité d'alchimie, selon lequel « Unicornis est Deus, nobis petra Christus, nobis lapis angularis Jesus, nobis hominum homo Christus »147. Pour Roger Caillois, la licorne incite à la méditation en conciliant lumières et ténèbres, vie et mort, ce qui est en haut et ce qui est en bas84.
Symbole féminin
Statue de licorne à Hampton Court, Angleterre.
Bruno Faidutti note dans sa thèse un rapprochement entre la licorne et la femme, comme le prouvent les multiples récits la décrivant en compagnie d'une jeune vierge. Son pelage est blanc comme la lune, astre symbole de la féminité. Sa pureté et sa chasteté s'opposent au lion au pelage beige ou doré et à la crinière flamboyante, animal solaire et masculin par excellenceA 25. Bertrand d'Astorg voit dans la licorne les grandes amoureuses qui refusent l'accomplissement de l'amour qu'elles inspirent et qu'elles partagent65.
Pureté et protection
La licorne est également vue comme un animal pur et indomptable8. Son pouvoir de déceler les impuretés renvoie à la fascination que la pureté exerce sur les cœurs corrompus65. C'est une créature farouche, veillant sur le jardin de la connaissance. Androgyne, la licorne évoque la restauration de l'état édénique. Elle est l'animal tantrique qui transmute les souillures et l'un des animaux gnostiques proposant la libération par la connaissance. Elle guide les artistes vers la vérité adamantine19.
Elle est si véloce qu'on ne peut la capturer vivante, la poursuivre, c'est partir en quête de l'impossible. Pour les traducteurs de la Torah, c'est un animal magique, vigoureux, resplendissant et digne d'amour, un ange gardien qui veille sur l'être ayant conclu une alliance avec elle84. Son rôle est de maintenir l'équilibre face aux forces obscures19.
Amour et sexualité
La licorne symbolise aussi l'amour et la lumière19. Son symbolisme sexuel est explicite car cet animal est femelle et vierge, mais sa corne de forme phallique est un attribut mâle. Selon le Dictionnaire des symboles, cette corne peut symboliser une étape de la différenciation et la sublimation sexuelle, elle est comparable à une verge frontale, un phallus psychique renvoyant à la fécondité spirituelle144. D'ordinaire, chez de nombreuses espèces animales, seuls les mâles portent des cornes, la corne de la licorne évoque donc la puissance virile148. La licorne est parfois associée à la lascivité et la luxure, comme le prouvent quelques statues et des bas reliefs où elle place sa corne entre les seins nus d'une femmeA 29.
Aspect maléfique
Gravure de Albrecht Dürer, Le rapt de Proserpine, 1516. La licorne y est clairement maléfique.
C'est l'un des rares animaux à corne qui ne soit pas présentés comme maléfiques, bien qu'il existe quelques représentations démoniaques de ces créatures. Elles possèdent alors généralement une corne courbéeA 30, et se laissent chevaucher par des démons ou des sorcières110. Deux textes au moins présentent des licornes dangereuses et menaçantes : la légende de Barlaam et Josaphat, et le conte du Vaillant Petit TailleurA 31. Selon Carl Jung, la licorne peut symboliser le mal, c'est-à-dire l'inconscient, parce qu'elle est dès l'origine un animal fabuleux et monstrueux141.
Alchimie
Cerf et licorne dans une forêt - 3efigure du Traité de la pierre philosophale de Lambsprinck.
Contrairement à ce que le psychanalyste Carl Gustav Jung et ses continuateurs affirment, la licorne apparaît rarement et plutôt tardivement dans le pourtant riche bestiaire de la symbolique alchimique (dans lequel les animaux les plus courants sont les aigles, les lions, le phénix, les pélicans, les salamandres et les dragonsA 32).
Sources alchimiques historiques
Une représentation de la licorne et de la vierge figure dans l'une des versions duxvie siècle du manuscrit enluminé de l'Aurora consurgens (autrefois attribuée à tort àThomas d'Aquin)149. Elle apparaît aussi, avec des significations différentes, dans deux livres d'emblèmes du tournant du xvie siècle et du xviie siècle. Dans le poème alchimique De lapide philosophico (De la pierre philosophale) attribué à un certainLambsprinck, publié pour la première fois en 1598 et illustré en 1625150, la triade forêt/cerf/licorne représente allégoriquement les trois parties de l'homme corps/âme/esprit qui, dans la théorie paracelsienne, sont utilisés pour représenter les trois « principes » constituants de la matière : le mercure, le soufre et le sel151. Le cerf ailé symbole se retrouve également associé à la licorne152. Dans une illustration de la Philosophia reformata (1622) de Johann Daniel Mylius153, la licorne sous un rosier symbolise l'une des sept étapes du grand œuvre alchimiqueA 32.
Interprétations alchimiques récentes
Jung interprète la scène du poème de Lambsprinck comme celle du mercure philosophique que la licorne symbolise, tout comme le lion. La licorne serait une partie de l'anima (la part féminine chez l'homme, souvent inconsciente), le soufre prêt à être projeté en masse dans la terre préparée. La Vierge représente l'aspect féminin passif du mercure philosophique, tandis que la licorne et le lion symbolisent la force sauvage, indomptée, masculine et pénétrante du spritus mercuriolis(esprit mercuriel)141. Le cerf est un symbole du mercure philosophique, associée à l'or de la licorne, du lion, de l'aigle et du dragon141.
Selon l'ouvrage ésotérique de Francesca Yvonne Caroutch, la licorne est l'un des emblèmes favoris des alchimistes vivant leur art comme une voie d'éveil et depuis la nuit des temps, les humains rêvent de cet animal et de sa corne unique dotée de pouvoirs secrets. Parce qu'elle neutralise tout venin, tout poison, la licorne œuvre à la transmutation alchimique : partout où elle règne, la matière se spiritualise19.
Roger Caillois note que comme Mélusine, les vouivres ou les sirènes, les licornes possèdent la nature double du mercure unissant le fixe et le volatil. Tour à toursoleil et lune, semence et matrice, la licorne incarnerait le solve et coagula, pour dissoudre le corps et coaguler l'esprit, spiritualiser le corps et donner corps à l'esprit. Dans la tradition hermétique, la licorne serait associée à l'œuvre au blanc et l'escarboucle visible sous sa corne unique annoncerait le phénix de l'œuvre au rouge. Seul un sage accompli serait sûr de reconnaître la licorne car elle peut déceler tout ce qui est altéré, impur, pollué ou maléfique. Rare et solitaire, elle ne vit que dans des lieux inaccessibles84.
Selon le dictionnaire des symboles, elle désigne le chemin vers l'or philosophal aux hermétistes occidentaux144. D'une manière générale, la symbolique de la licorne en alchimie est celle d'un instrument de fixation et surtout de pénétration. L'arcane de la licorne, de même que celui du coq, annonce la lumière154.
Psychanalyse
Les travaux de Carl Gustav Jung sur la licorne sont suivis d'une grande variété d'interprétations. Hélène Renard lui donne une interprétation dans les rêves comme source de force lors de difficultés passagères, en se basant sur l'ouvrage le Mystère de la Licorne de Francesca Yvonne Caroutch155.
Au cours d'un colloque en date de 1960, Serge Leclaire, premier disciple de Jacques Lacan, relate le rêve d'un de ses analysants, prénommé Philippe. Ce rêve est connu en psychanalyse sous le nom de « Rêve à la licorne » : « La place déserte d'une petite ville : c'est insolite ; je cherche quelque chose. Apparaît, pieds nus, Liliane – que je ne connais pas – qui me dit : il y a longtemps que je n'ai pas vu de sable aussi fin. Nous sommes en forêt et les arbres paraissent curieusement colorés de teintes vives et simples. Je pense qu'il doit y avoir beaucoup d'animaux dans cette forêt, et comme je m'apprête à le dire, une licorne croise notre chemin ; nous marchons tous les trois vers une clairière que l'on devine, en contrebas. »156
Dans une première analyse, Leclaire extrait de ce qu'il appelle un texte inconscient ou texte hiéroglyphique, c'est-à-dire une chaine constituée des mots Lili-plage-sable-peau-pied-corne, dont la contraction radicale donne Li-corne. Ce point de départ considéré comme ne dépassant pas le niveau préconscient, donna lieu à un approfondissement ultérieur par son auteur et à de nombreux commentaires et interprétations par différents psychanalystes157.
Héraldique et logos
Article détaillé : Licorne héraldique.
Galerie : Licorne en héraldique
Armoiries britanniques.
Jusqu'au xive siècle, la licorne est quasiment absente des blasons158. C'est une figure héraldique imaginaire qui, selon la tradition, ressemble au cheval, a des sabots fourchus de cervidés et une barbiche sous la gueule. On la trouve surtout dans les ornements extérieurs de l'écu. La licorne est devenue l’un des emblèmes les plus utilisés par les seigneurs et chevaliers à partir du xviie siècle, elle symbolisait leurs vertus car « sa noblesse d’esprit est telle qu’elle préfère mourir qu’être capturée vivante, en quoi la licorne et le vaillant chevalier sont identiques »159 et « cet animal est l’ennemi des venins et des choses impures ; il peut dénoter une pureté de vie et servir de symbole à ceux qui ont toujours fui les vices, qui sont le vrai poison de l’âme »160. Bartolomio d'Alvano, capitaine au service des Orsini, tira parti de cette symbolique en faisant broder une licorne plongeant sa corne dans une source sur son étendard, avec la légende « Je chasse le poison »110. Bien que les licornes héraldiques portent parfois un collier et des morceaux de chaines, qui peuvent être interprétés comme un signe de servitude, elles ne sont jamais représentées attachées, ce qui montre qu'elles ont rompu leur servitude et ne peuvent être prises à nouveau. Deux licornes soutiennent les armes écossaises, et dans les armoiries de Grande-Bretagne, le lion représente l’Angleterre et la licorne, l’Écosse. La présence combinée de ces deux créatures symbolise l’union impériale des deux couronnes.
Lewis Caroll cite une comptine anglaise, dans De l’autre côté du miroir, où il rappelle l’origine de ces supports d’armes :
The Lion and the Unicorn |
Le lion et la licorne se disputaient la couronne Le lion battit la licorne tout autour de la ville |
Pour la couronne d’or et pour la royauté, Le fier Lion livrait combat à la Licorne. Elle fuit devant lui à travers la cité, Sans jamais, toutefois, en dépasser les bornes. |
Traduction littérale | Traduction de Jacques Papy |
Sur le même modèle, lion et licorne figurent également dans les armoiries du Canada. La licorne porte la bannière des armes de France, trois fleurs de lys d’or sur fond azur, semblable au blason royal de France qui ornait la croix plantée par Jacques Cartier à Gaspé. Les armes de la Vénérable Société des pharmaciens de Londres ont deux licornes d'or, bien qu'elles aient la queue de chevaux et non pas de lions.
Armoiries de Saint-Lô.
Armoiries de la ville d'Amiens.
En France, on trouve la licorne dans les armoiries de la ville picarde d'Amiens161, de la ville normande de Saint-Lô et de la ville alsacienne de Saverne. L’usage orthodoxe veut que la corne de la licorne soit tricolore de sable, d’argent et de gueules, c’est-à-dire noir, blanc et rouge, en hommage au nigredo-albedo-rubedo des alchimistes dont les 3 couleurs représentent le Grand Œuvre162.
Avec le développement de l'imprimerie, la licorne devient l’animal le plus représenté sur lesfiligranes de papier, et le plus répandu après le phénix dans les marques et les enseignes d’imprimeurs, dans toute l’Europe. On suppose qu'elle symbolise la pureté du papier, et donc celle des intentions de l'imprimeurA 33. La licorne est l'emblème de l'Amiens SC, club de football professionnel basé à Amiens en Picardie. Elle est représentée sur le logo du club, qui dispute ses matches à domicile au stade de la Licorne.
Dans la culture populaire
Article détaillé : Licorne dans la culture populaire.
René Barjavel, Les Dames à la licorne | |
La licorne peut aimer un compagnon : elle ne supporte pas un cavalier163. |
Après les œuvres du xixe siècle qui citent la licorne sans en faire le sujet principal, La Dernière Licorne (The Last Unicorn), roman de fantasy de Peter S. Beagle publié en 1968, est l'ouvrage le plus connu. Une licorne y vit paisiblement dans sa forêt lorsqu'elle entend deux chasseurs dire qu'elle serait la dernière. Elle part à la recherche d'autres licornes, affronte une sorcière, est métamorphosée en humaine et retrouve sa véritable apparence au terme d'un combat contre un taureau de feu. Elle libère ses semblables avant de regagner sa forêt164.
Tous les romans mentionnant la licorne, ou presque, appartiennent aux littératures de l'imaginaire. Dans Les Dames à la licorne, publié en 1968, René Barjavel imagine que Foulque Ier d'Anjou a épousé une licorne, dont sont issus les rois d'Angleterre et d'Europe. Le Signe de la Licorne de Roger Zelazny s'inscrit dans le cycle des Princes d'Ambre. Cette créature figure parmi les habitantes des mondes parallèles de fantasy, comme Narnia. Anne McCaffrey a créé une série de science-fiction autour d'Acorna, une licorne humanoïde trouvée dérivant dans un vaisseau spatial. D'après un article sur Noosfere, les licornes des romans de l'imaginaire« n'échappent pas totalement à la fatalité de la violence, car elles ne sont évoquées que dans des contextes tragiques ». Ainsi, dans le premier tome de Harry Potter, le meurtre des licornes fait découvrir la présence de Voldemort165. Les licornes de cet univers de fiction se distinguent par les propriétés de leur sang, qui est un élixir de longue vie166.
En bande dessinée, Le Secret de La Licorne, dans la série de Tintin par Hergé, renvoie à un navire nommé La Licorne, dont la figure de proue représente une telle créature. Unico, un manga d'Osamu Tezuka, met en scène une petite licorne possédant de nombreux pouvoirs magiques, qu'elle ne peut employer qu'en faveur d'une personne qui l'aime167.
La licorne apparaît sur grand écran dans L'Enfant et la Licorne de Carol Reed, l'adaptation en film d'animation du roman de Peter S. Beagle, Legend de Ridley Scott, et Nico la licorne168. Dans U, film d'animation français sorti en 2006, la découverte de l'amour sépare une jeune fille de sa licorne169. Dans le film de Blade Runner, le personnage principal rêve d'une licorne. Dans Le lion, la sorcière blanche et l'armoire magique, premier film de Narnia sorti en 2005, Peter Pevensiemonte une licorne durant la première bataille.
À la télévision, She-Ra, la princesse du pouvoir présente Éclair, le cheval d'Adora qui se transforme en Fougor, licorne ailée douée de parole. Princesse Starla et les Joyaux magiques est une série d'animation américaine dans laquelle les chevaliers d'Avalon montent trois licornes nommées Moondance, Sunstar et Ombre chantante. Dans My Little Pony, les licornes sont l'une des trois races principales peuplant le monde d'Equestria, avec les poneys et les pégases. Il y existe aussi des alicornes, race très ancienne possédant à la fois une corne et des ailes, généralement promues au titre de dirigeantes du fait de leur grande puissance. Dans l'univers de Pokémon, Galopa est proche d'une licorne de feu.
La licorne fait partie du bestiaire des jeux de rôle. Un manuel entier de Donjons et Dragons leur est consacré, il distingue une espèce principale, la licorne sylvestre, et dix sous-espèces. La plupart vivent pour protéger les forêts, leurs capacités proviennent de leur corne170. C'est l'une des montures des elfes sylvains dans l'univers de Warhammer.
Ces dernières années, la licorne est particulièrement représentée dans la culture internet, souvent de manière parodique, comme en témoignent le culte de laLicorne rose invisible, les web séries décalées Charlie la licorne et Planet Unicorn, les œuvres dérivées de My Little Pony ou encore l'univers de Robot Unicorn Attack, jeu vidéo de plates-formes très kitsch développé en Flash, qui semble directement tiré d'un rêve de petite fille. Il s'ensuit une véritable déchéance de son image depuis les années 1980, ces licornes ne gardent rien de la richesse symbolique de leur légende originelle. Elles sont perçues comme des créatures mièvres qui font fantasmer les petites filles171.
Dans le langage courant, le mot licorne est devenu une métaphore de l'extraordinaire172. Sur internet, une licorne est un wikipédien inscrit sur Wikipédia depuis2013173.